Une justice difficile à obtenir pour les victimes d’arnaques sentimentales
Lorsqu’elles se rendent à la gendarmerie pour déposer plainte, beaucoup de victimes d’arnaques sentimentales se heurtent à un constat déchirant. Ambre*, une chargée de recrutement de 44 ans qui a perdu 9 000 euros, raconte : « Quand je suis allée en dépôt de plainte, je pleurais, j’étais mal. » Le gendarme lui aurait répondu : « Votre argent, il est perdu. » Ce qui a encore plus bouleversé la victime.
Les escroqueries aux sentiments se déroulent principalement en ligne, souvent via les réseaux sociaux. Après une rencontre virtuelle, l’escroc, surnommé un « brouteur », commence par déclarer sa flamme. Il envoie de nombreux messages d’amour, puis finit par soutirer de l’argent à sa victime, sans jamais la rencontrer en personne.
En 2024, la police a enregistré environ 3 413 plaintes pour ce type d’arnaques, selon la Direction générale de la police nationale. Ce chiffre montre une légère hausse par rapport à l’année précédente. Toutefois, ce phénomène est largement sous-estimé, selon Thierry Baut, président de l’association Assistance aux victimes d’arnaqueurs sentimentaux. Il indique recevoir quotidiennement des témoignages, mais il estime que ces cas ne représentent qu’une petite partie des victimes.
Le silence et la honte empêchent souvent de porter plainte
Pour de nombreuses victimes, le dépôt de plainte est difficile. La honte ou le déni freinent leur démarche. Sandrine*, une ancienne banquière de 60 ans, qui a été escroquée à hauteur de 4 000 euros, explique : « C’est très dur de porter plainte, c’est difficile d’avouer qu’on s’est fait avoir. » Elle confie avoir hésité avant de se rendre en gendarmerie. Un policier lui aurait confirmé qu’elle avait été victime, ce qui lui a permis de comprendre qu’elle n’était pas responsable.
« On se sent tellement coupable. »
Selon l’avocate Marine de la Clergerie, porter plainte constitue déjà une reconnaissance de la victimisation : « C’est dire qu’on est victime. » Cependant, certains victimes n’ont pas toujours reçu l’écoute qu’elles espéraient. Ambre témoigne : « Quand j’ai porté plainte, je n’ai senti aucune compassion, au contraire, du dédain, comme si je n’étais qu’une nulle. »
Il est toutefois possible de déposer plainte en ligne via la plateforme Thesee ou directement auprès du procureur de la République par courrier, selon le Service public.
Un parcours judiciaire semé d’obstacles
Les victimes peinent souvent à obtenir justice. Sandrine raconte qu’elle n’arrive pas à se remettre de l’arnaque, car elle pense constamment à son expérience. La justice, elle le sait, a peu de chances d’être rendue.
Arnaud Touati, avocat spécialisé en nouvelles technologies, souligne : « Les victimes d’arnaques sentimentales doivent souvent faire face à un véritable parcours du combattant. » La plainte n’aboutit souvent pas, notamment parce que les escrocs opèrent à l’étranger, principalement en Afrique de l’Ouest, comme en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Cameroun, au Nigeria ou au Ghana. La coopération judiciaire internationale est longue et compliquée. Les enquêtes peuvent durer des mois, voire ne jamais aboutir, explique l’avocat.
Thierry Baut ajoute que la plainte s’arrête souvent à la frontière européenne. « La lutte contre ces escroqueries bénéficie d’une impunité quasi totale », dénonce-t-il.
Des montants variables, une récupération difficile
Les arnaques peuvent entraîner des pertes allant de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d’euros. En 2024, 3 296 plaintes concernent des préjudices inférieurs à 50 000 euros, 69 entre 50 001 et 100 000 euros, 40 entre 100 001 et 200 000 euros, et 8 au-delà de 200 000 euros.
Récupérer l’argent volé est souvent une tâche quasi impossible. Arnaud Touati explique : « La majorité des victimes ne reverront jamais leurs fonds. » La traçabilité est compliquée en raison des échanges via des plateformes anonymes ou cryptomonnaies. L’argent est rapidement dispersé, transféré dans des circuits opaques, converti en liquide ou investi dans des biens insaisissables, poursuit-il.
Dans le cas d’Ambre, l’argent a été envoyé sous forme de coupons PCS, achetés dans des bureaux de tabac, qui créditent des cartes de paiement, un moyen difficile à suivre. Certains escrocs demandent aussi des virements bancaires directs, ce qui complique la tâche des enquêteurs.
Une victime qui a perdu un crédit de 5 000 euros
Une autre victime, Amanda, aide-soignante de 43 ans, a aussi été abusée par une arnaque sentimentale. Elle a perdu ses économies, son logement en location et a été contrainte de contracter un prêt de 5 000 euros. Son téléphone a permis à la police de retrouver la trace du « brouteur » en Côte d’Ivoire grâce au RIB fourni par la victime.
Malgré cela, Jocelyn Ziegler, avocat spécialisé, explique qu’il est parfois possible de récupérer l’argent. Les banques ont un devoir de vigilance, notamment lors d’un virement inhabituel. Si la banque ne signale pas l’opération, la victime peut saisir l’établissement pour demander une indemnisation ou faire appel au médiateur ou au tribunal judiciaire. Dans certains cas, cela a permis de faire rembourser des victimes, comme dans un dossier où une somme de 44 000 euros a été récupérée.
Mais ces démarches sont longues et compliquées. L’avocat recommande aux victimes d’être accompagnées lors du dépôt de plainte. Il insiste aussi sur le fait que souvent, celles-ci s’auto-incriminent, alors qu’il faut mettre en avant leur manipulation par l’arnaqueur.
La prévention, seule solution efficace
Selon Arnaud Touati, la meilleure arme contre ces escroqueries reste la prévention. Sensibiliser le public aux techniques des escrocs, apprendre à reconnaître les signaux d’alerte, permettrait de réduire le nombre de victimes futures. Thierry Baut partage cette idée et souhaite l’apparition de campagnes de prévention à la télévision.
*Le prénom a été modifié à la demande du témoin.
