
Le financement de la campagne européenne du président du RN intrigue la Commission nationale des comptes de campagne. En jeu : une série de prêts accordés par des particuliers, déjà engagés dans d’autres scrutins. L’affaire pourrait rebondir en justice.
À première vue, tout semblait conforme. Fin avril 2025, la Commission nationale des comptes de campagne a publié un long rapport de 130 pages validant les comptes des principaux candidats aux élections européennes de 2024. Mais un paragraphe, glissé au cœur de ce document dense, soulève de sérieuses interrogations sur la campagne de Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national.
Des prêts privés massifs… et récurrents
Le rapport indique que Jordan Bardella a contracté plus de 4,4 millions d’euros de prêts auprès de 225 particuliers pour financer sa campagne. Jusque-là, rien d’illégal : le Code électoral autorise ce type de financement – sauf pour l’élection présidentielle.
Mais ce qui interpelle la Commission, c’est que plusieurs prêteurs auraient déjà soutenu financièrement d’autres candidats du RN, voire Bardella lui-même lors d’élections précédentes. Le risque ? Que ces prêts répétés soient en réalité des dons déguisés, une pratique strictement encadrée depuis la loi pour la confiance dans la vie politique, adoptée en 2017.
Une notion clé : “le prêt habituel”
Tout repose désormais sur une définition essentielle : celle de prêt habituel. D’après les règles en vigueur, un particulier qui consent au moins cinq prêts pour un total supérieur à 75 000 euros peut faire l’objet d’un signalement au parquet.
La Commission a d’ailleurs rappelé dans un précédent rapport qu’elle appliquait cette règle avec rigueur, au nom de la moralisation de la vie politique. Et dans sa décision sur la campagne européenne du RN, elle se réserve explicitement le droit de saisir la justice.
En clair, le simple fait que les comptes aient été certifiés ne protège pas le candidat d’un éventuel volet judiciaire, surtout si l’origine des prêts soulève des questions de régularité.
Une autre enquête déjà en cours
Ce nouveau dossier intervient dans un climat déjà tendu pour le RN. En juillet 2024, une enquête judiciaire distincte a été ouverte, après un signalement de la même commission. Il est question cette fois de 23 prêts accordés au RN par des particuliers entre 2020 et 2023, pour plus de 2,3 millions d’euros, que le parti aurait du mal à rembourser.
Le timing n’arrange pas les affaires du parti, quelques semaines seulement après la condamnation de Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires – une décision qu’elle conteste en appel.
Bardella crie à l’acharnement
Interrogé lors d’un déplacement en Saône-et-Loire, Jordan Bardella affirme avoir “découvert l’affaire dans la presse”, et assure n’avoir rien à se reprocher. Selon lui, ces prêts ont été contractés dans le respect des règles, avec des contrats dûment établis.
“Toutes les banques nous ont fermé la porte. On nous reproche aujourd’hui d’avoir fait appel à des particuliers, ce qui est légal. C’est une opération de harcèlement, une volonté de nous étouffer financièrement.”
Le RN, sollicité à plusieurs reprises par la presse pour commenter plus en détail l’affaire, n’a pas donné suite.
Ce qu’il faut surveiller dans les semaines à venir
Si la justice devait être saisie dans cette affaire, le dossier pourrait remettre en question certaines pratiques de financement désormais fréquentes chez les partis politiques en manque de partenaires bancaires. Et pour Jordan Bardella, cette affaire tombe à un moment stratégique, alors qu’il consolide sa place de favori dans les sondages à droite.
La question reste ouverte : les prêts reçus sont-ils un simple levier financier, ou dissimulent-ils des circuits de financement plus flous ? C’est à la justice, désormais, d’y répondre.