
Dans une nouvelle étude publiée le 8 avril, l’Insee dévoile un portrait à plusieurs visages de la pauvreté en France. Et les chiffres, loin d’être univoques, révèlent une réalité plus subtile qu’il n’y paraît.
Trois manières de mesurer la pauvreté
La question semble simple : combien de personnes vivent dans la pauvreté en France ? Pourtant, la réponse est bien plus nuancée. L’Insee, en s’appuyant sur les données de 2022 et 2023, propose une lecture plus fine du phénomène en croisant trois indicateurs : le revenu, les conditions de vie et le ressenti des ménages.
D’après la méthode classique basée sur le revenu disponible, 15 % des Français vivent sous le seuil de pauvreté. C’est l’approche dite « monétaire », qui reste la plus couramment utilisée pour quantifier le phénomène.
Mais l’Insee ne s’arrête pas là. En analysant les conditions de vie concrètes, elle note que 14 % de la population est en situation de privation matérielle et sociale. Cela signifie, par exemple, ne pas pouvoir chauffer correctement son logement, s’acheter de nouveaux vêtements ou partir en vacances.
Enfin, l’étude ajoute une dimension plus subjective mais révélatrice : celle du ressenti. À la question « Arrivez-vous à boucler vos fins de mois ? », 22 % des Français répondent être en difficulté. Un chiffre qui donne à voir un malaise plus diffus, moins visible dans les courbes économiques.
Une pauvreté aux visages multiples
L’Insee ne s’est pas contentée d’additionner les données. Elle les a croisées, et le résultat est frappant : seuls 4 % des Français cumulent les trois formes de pauvreté – monétaire, matérielle et ressentie. Mais 10 % en subissent deux simultanément, et 18 % sont concernés par au moins une.
En clair, près d’un tiers de la population vit une forme ou une autre de pauvreté. Le phénomène est donc plus vaste que ce que laisse entendre la seule lecture monétaire.
Qui sont les plus touchés ?
L’étude montre également que certaines catégories socio-professionnelles sont nettement plus exposées. Les artisans, agriculteurs et exploitants figurent en tête : 23 % vivent sous le seuil de pauvreté monétaire et 17 % déclarent avoir du mal à finir le mois.
Du côté des propriétaires en cours d’acquisition, la situation est plus contrastée : seulement 7 % sont sous le seuil de pauvreté, mais 17 % ressentent un malaise financier, preuve que posséder un bien immobilier n’est pas forcément synonyme de sécurité économique.
Sans surprise, les familles monoparentales et nombreuses, les chômeurs, les locataires et les habitants des zones urbaines sensibles sont aussi largement concernés par une ou plusieurs formes de pauvreté.
Une photographie essentielle pour mieux agir
Avec cette étude, l’Insee rappelle une chose fondamentale : la pauvreté ne se résume pas à un chiffre sur un bulletin de salaire. Elle peut se cacher dans l’impossibilité de remplacer une machine à laver, dans l’angoisse de payer une facture ou dans la peur du lendemain.
En croisant les regards – statistique, matériel et humain – ce rapport offre une lecture plus juste, plus réaliste, et surtout plus humaine de la précarité en France. Un outil précieux pour orienter les politiques sociales, mais aussi pour nourrir un débat souvent trop simplifié.